Le Sacre du Printemps III

Le Sacre du Printemps comprend en dehors des partitions d’orchestre et des manuscrits correspondants, plusieurs éléments parmi lesquels les esquisses et la réductionpour piano à quatre mains.

La réduction que Stravinsky offre à Misia en 1913, dont il retrouve et acquiert le manuscrit à Londres en 1967, a été publiée dès 1913 mais non rééditée pendant longtemps. L’exemplaire de travail du compositeur comporte les innombrables indications chorégraphiques notées par Stravinsky à l’intention de Nijinski. C’est vraisemblablement avec cette partition que Debussy et Igor jouent le Sacre chez Louis Laloy (1912).

C’est elle qui était destinée aux répétitions des danseurs. Les annotations peuvent contribuer à réévaluer l’apport de Nijinski comme chorégraphe du Sacre.

Le Cahier d’esquisses : Appartenait (?) au collectionneur parisien André Meyer et publié en fac-similé par Boosey & Hawkes, en 1969. Le matériau original de cette publication a été authentifié par Stravinsky en 1963 lors d’une visite à Meyer. Quelles sont en effet la place et la fonction exactes de ces fragments si divers et surtout si parfait pour la plupart dans la genèse de cette œuvre gigantesque. Induit à nous interroger sur le moment précis de leur production nous nous heurtons d’abord à une contradiction quant à leur support matériel.

Stravinsky déclare (en 1963) avoir acheté ce superbe cahier dans une papeterie de Varèse sur le Lac Majeur, sans doute pendant l’hiver 1911-1912. Ravel l’accompagnait. Or l’excursion des deux compositeurs sur le Lac Majeur a bien eu lieu, mais fin mars ou début avril 1913, alors que Ravel était à Clarens pour travailler avec lui sur l’orchestration de la Khovantchina. Le Sacre était évidemment terminé à ce moment-là.

  • soit les esquisses auraient été écrites après la partition définitive, si le cahier est acheté en 1913
  • soit lamémoire de Stravinsky lui fit défaut.

L’époque de la rédaction du Sacre (1911-1912) étant incontestable la nature des esquisses n’en intrigue et n’en trouble pas moins le musicien appelé à les étudier. Pourquoi comprennent-elles si peu de tâtonnements, de ratures, de repentirs ? Pourquoi sont-elles si achevées ? Pourquoi sont-elles si fragmentaires ? Comment peut-on composer une œuvre aussi complexe à partir de fragments pour la plupart si minuscules et si parfaits ? Pourquoi sont-elles, ces esquisses, si peu explicites au regard de processus rythmiques aussi spéculatifs que ceux de la Danse Sacrale où Stravinsky semble se préoccuper davantage de l’harmonie et de l’orchestration que du rythme.

Les spéculations rythmiques semblent acquises par avance, ou venues tout naturellement…

D’autres esquisses moins abouties, plus tâtonnantes du Sacre ont-elles existé ? On est tenté de l’imaginer, car il est difficile de se représenter Stravinsky composant – au piano ! – le Sacre à travers ce seul document. La fonction de ce cahier nous apparait alors comme plus ambiguë que celle de l’esquisse compositionnelle « opératoire » qui prélude par hypothèse à l’élaboration d’une œuvre de cette complexité ; nous sommes tentés de dire qu’il s’agit là d’un « journal de bord » de la composition du Sacre plutôt que de l’instrument de son élaboration.

Tout ce passe comme si se trouvaient dans ce cahier, consignées, des structures une fois élaborées, parfois même achevées. Ce qui est contradictoire dans une certaine mesure à la notion et à la fonction de l’esquisse.

Si on doit écarter (un peu à regret) l’hypothèse d’un cahier rédigé après-coup, Stravinsky aurait-il été capable de monter une telle supercherie pour éblouir Diaghilev d’un cadeau ou pour autre raison ?

Celle d’un répertoire en revanche, de moments essentiels, transcrits pendant, voire après leur composition définitive n’est pas à exclure.

Que l’on ne nous dise surtout pas que Stravinsky avait la structure achevée dans sa tête, avant de la transcrire ; nous savons que tel n’était pas du tout son mode de composition, tâtonnant, répétitif, lié en tous cas à la réalité sonore longuement cherchée au piano. La beauté du graphisme stravinskien et son impeccable lisibilité rendent très aisée, très voluptueuse la fréquentation de ce manuscrit.

Au-delà, la genèse du chef-d’œuvre garde, comme tant d’autres, sa part d’énigme.